Capsule 18
Traces de lutte, traces de sang …
Et pourquoi pas « Trous de balles à l’avenue de Jemappes » ? Inconvenant ou déplacé, diront certains qui n’apprécient pas l’humour potache indigne de la Maison de la Mémoire. De toute façon, ces éraflures sont bien présentes sur la façade d’une maison de l’avenue, une centaine de mètres après le chemin de l’Inquiétude, à droite en allant vers Jemappes.
Des traces ?
C’est tout ce qu’il reste de visible du terrible affrontement opposant le 17 avril 1893 les Gardes civiques montois qui défendent la ville et 6.000 ouvriers venus du Borinage pour réclamer le Suffrage Universel en voulant défiler dans la ville de Mons. Le face-à-face dure plusieurs heures. Les ouvriers lancent des injures mais aussi des pierres et des boulons sur la milice plus habituée à parader et à banqueter qu’à maintenir l’ordre. D’après la version officielle, un garde, pris de panique, aurait fait feu sur la foule. Les autres miliciens tirent à leur tour croyant que l’ordre avait été donné d’en finir avec l’affrontement.
Des conséquences ?
5 ou 6 morts et des dizaines de blessés. Il s’agit d’un des plus grands massacres de l’histoire sociale belge. Le gouvernement catholique dirigé par Auguste Beernaert qui, jusque là, refusait d’accorder le S.U. pense alors à une possible (mais lointaine) réforme. Mais le lendemain, une autre fusillade près d’Anvers secoue le cocotier conservateur des autorités qui rapidement décident d’accorder le S.U.
Une réforme bien belge: le S.U. plural
Mais on est bien au pays du compromis à la belge. Le S.U. est mis en place (les hommes de plus de 25 ans ont droit à une voix) mais il est tempéré par une spécificité très rare. En effet les propriétaires et les possesseurs de diplômes (humanités et supérieur) ont droit à une deuxième et/ou une troisième voix. Pour l’anecdote, mon arrière-grand-père racontait que dans la région de Couvin, lors des meetings, les candidats aux élections soignaient particulièrement ces « gros électeurs à 3 voix » en leur réservant des fauteuils à l’avant de la salle. Les électeurs à deux voix devaient se contenter de chaises tandis qu’à l’arrière, ceux qui avaient droit au minimum légal restaient debout.
Peur, amnésie ou indifférence ?
Rien ! Aucune plaque ou monument ne signalent à la population qu’une page importante de l’histoire sociale belge s’est jouée à l’avenue de Jemappes. Ne serait-il pas temps de réagir ?
Gérard Waelput